Émotion en architecture

L'architecture parle. Elle raconte des histoires. Elle hurle ses émotions. Des émotions tantôt agréables, tantôt rudes. Pour Carla Swickerath, figure de proue du célèbre cabinet d'architectes Libeskind, c'est cet équilibre qui fait la beauté du métier. « L'architecture mélange raison et émotion. C'est ce qui la rend si puissante. Chez Studio Libeskind, nous ne faisons aucune distinction. »
Cette approche rend-elle votre travail unique ?
Carla Swickerath : « Ici, nous sommes tous d'accord pour dire que l'architecture trans- cende ses aspects techniques et rationnels. L'architecture ne remplit vraiment sa mission que lorsqu'elle parle à l'âme humaine. Chaque projet a besoin de ce lien émotionnel, que ce soit avec les passants ou les visiteurs... Pour nous, il est crucial que les deux aspects s'en- tremêlent. »
Est-il difficile d'établir ce lien personnel ?
« Pour éveiller des émotions, il faut avant tout de l'empathie. Nous sommes une oreille attentive qui s'efforce réellement de com- prendre la culture ainsi que le sens et le sen- timent d'un lieu et de ses habitants. Je crée plus facilement si je peux vraiment m'im- prégner du lieu. C'est une manière de ne pas perdre l'ensemble de vue. »
Est-ce plus facile avec de l'expérience ou vous fiez-vous à votre instinct ?
« Difficile à dire. Une grande partie de mon travail repose sur l'intuition et je dois y être ouverte. En tant que mère d'une petite fille, je suis persuadée que chacun a la capacité de suivre son intuition. Nous avons tous la ca- pacité d'apprécier l'inconnu et de trouver la reconnaissance à un niveau qui transcende la langue. D'autre part, vous ne vous posez plus de questions sur votre méthode de travail. Vous le faites, tout simplement. »

L'expression d'émotions via l'architecture est-elle difficile dans des lieux déjà chargés émotionnellement ou l'histoire émotionnelle facilite-t-elle justement les choses ?
« Prenons, par exemple, le drame émotionnel lié à Ground Zero. L'émotion est partout, ce qui la rend, d'une certaine manière, plus ac- cessible. L'inconvénient, c'est que le défi est d'autant plus grand puisqu'il faut faire preuve de beaucoup plus de sensibilité. Il importe de transposer ce lien émotionnel direct dans le design. Vous vous sentez aussi responsable de refléter ce sentiment de la bonne façon. Surtout pour les gens qui ont un lien direct avec le site. »
Comment vous attelez-vous à un projet d'une telle envergure ?
« C'est un grand honneur de se voir confier la responsabilité d'un projet de cette ampleur. Mais d'un autre côté, vous ressentez immé- diatement la tragédie et le traumatisme. C'est pourquoi nous partons toujours du point de vue humain. Le bâtiment du WTC émeut non seulement la population de New York et de l'Amérique, mais il touche aussi le monde entier. »
Pas facile, j'imagine....
« Pas du tout. Dans le cas du World Trade Center, les divergences d'opinions étaient nombreuses. Il est rare qu'il n'y ait qu'une seule histoire ou qu'une seule opinion. Vous essayez donc de trouver une solution qui contente toutes ces voix dans une certaine mesure. C'est la clé du succès du projet. La complexité de ces interactions fait partie in- tégrante de notre processus créatif. C'est un grand numéro d'équilibriste, un peu comme de la gymnastique. »
N'est-il pas parfois accablant de ressentir ces émotions tous les jours ?
« Pas vraiment. En réalité, ça m'inspire. Je veux créer des bâtiments qui ont un impact, qui font une différence là où ils sont éri- gés. C'est comme ça que je touche les gens.
C'est pour ça que j'aime mon travail. Il n'y a pas deux projets qui se ressemblent. L'archi- tecture et l'émotion qui en découlent vous mettent au défi de vous ouvrir à l'aventure. De plonger dans l'inattendu et vous laisser porter par ce qui arrive. »