Vivre dans l’avenir

De nombreux problèmes tels que la fragmentation, le développement en ruban et la mauvaise isolation découlent de la vision de la construction et de l’habitat de la seconde moitié du XXe siècle. Si nous voulons que notre planète reste vivable, nous devons nous concentrer sur les espaces verts et sur des constructions plus compactes, plus durables et neutres en énergie.

Davy Demuynck, PDG du promoteur immobilier ION, Herman Konings, psychologue du changement et analyste des tendances, et Rick Splinter, partenaire associé aux architectes de chez Mecanoo, apportent leur éclairage sur la construction de l’avenir. Mais d’abord, parlons de vivre dans le présent. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Splinter : « Aux Pays-Bas, il y a une pénurie d’environ 300 000 logements pour la classe moyenne. Une maison moyenne coûte aujourd’hui environ 400 000 euros. L’augmentation des coûts de construction et les exigences en matière de durabilité feront grimper ce prix encore plus haut. »
Konings : « En Belgique, une maison moyenne coûte environ 280 000 euros, mais là aussi les prix augmentent rapidement. La différence entre les deux pays est historique : alors que les Belges investissent traditionnellement dans un logement et considèrent cela également comme une forme d’épargne-pension, les Néerlandais optent plutôt pour un fonds de pension. D’autre part, les salaires aux Pays-Bas sont plus élevés et les impôts moins élevés, ce sont aussi des aspects à prendre en compte dans la comparaison. »
Demuynck : « L’accessibilité au logement est sous pression dans les deux pays. Nous constatons que la population des villes néerlandaises augmente plus rapidement que celle de la Belgique, alors que le fait de vivre en ville était relativement bon marché en Belgique jusqu’à récemment. Il sera également de plus en plus difficile à l’avenir d’être propriétaire de son logement en raison de la hausse des prix. Opter pour la location plutôt que pour l’achat peut avoir un impact financier, notamment parce que nous ne sommes pas traditionnellement des investisseurs comme aux Pays-Bas. »
Konings : « Je m’attends à ce que la prochaine génération, celle que l’on appelle les Xennials qui ont maintenant entre 40 et 45 ans, se concentre sur l’investissement et moins sur l’investissement dans l’immobilier. C’est une évolution que nous constatons dans le monde entier et qui est liée à la mondialisation ainsi qu’à la numérisation de la société, qui relègue les traditions locales au second plan. »
Comment pouvons-nous relever ce défi à l’avenir ?
Konings : « Des experts de différentes disciplines s’attendent à ce qu’à l’avenir nous vivions à nouveau en ville à condition que celle-ci présente davantage de caractéristiques rurales, telles que la nature et la construction en bois, la production locale, la consommation locale et, surtout, l’implication sociale. Une récente étude allemande a démontré que les gens trouvent les villes européennes plus sociables que les villages. Par exemple, les citadins n’ont pas leur propre jardin, ils sont donc obligés de sortir et d’avoir plus de contacts entre eux. »
Demuynck : « Les Pays-Bas font figure de pionniers dans ce domaine et accordent suffisamment d’attention au caractère agréable des villes et des domaines publics. Les villes belges sont déjà devenues plus attrayantes qu’auparavant, mais il y a encore du pain sur la planche. »
Splinter : « Il y a eu une véritable prise de conscience quant au fait que la vie en ville doit s’adapter au rythme des cyclistes et des piétons. Nous nous dirigeons à nouveau vers une meilleure expérience dans et de la ville, et c’est une bonne évolution. »
Konings : « S’il n’y a plus de voitures dans les villes, les enfants peuvent à nouveau jouer dehors ; cela tisse automatiquement des liens et établit une cohésion sociale. Nous constatons aujourd’hui que la ville est peuplée en majeure partie par la génération baby-boom de la classe moyenne. Les Xennials qui ont des enfants vont choisir la ville plutôt que les zones rurales et suburbaines. Les deux générations changent donc de lieu. Les Xennials emportent avec eux leur mentalité urbaine vers leurs nouveaux lieux de résidence, c’est pourquoi ces zones développent également des aspects urbains. D’autre part, nous devons faire entrer les aspects ruraux dans la ville pour que cet environnement reste à la fois sain et vivable. »
Splinter : « Aux Pays-Bas, nous constatons que ce revirement n’est pas facile à mettre en œuvre. Par exemple, les gens veulent de plus en plus vivre séparément plutôt qu’ensemble dans des logements individuels, ce qui a un impact majeur sur la disponibilité et les prix des biens immobiliers. »

Il est clair que les choses doivent changer à l’avenir. L’avenir nous apportera-t-il des modes de vie alternatifs et de nouvelles formes de vie collective telles que le cohabitat ou l’habitat kangourou ?
Demuynck : « À mon avis, les tendances telles que le cohabitat et l’habitat kangourou resteront marginales en termes de pourcentage à l’avenir et, outre le prix d’achat ou de location, les gens évalueront un logement en fonction du montant mensuel des frais de chauffage, de climatisation et de subsistance. Cela donnera une impulsion positive aux acteurs qui s’engagent en faveur du logement durable. Aujourd’hui, un certain nombre d’investisseurs proposent déjà des immeubles à un prix mensuel fixe qui comprend à la fois le prix de la location et les services énergétiques. Si vous utilisez votre énergie de manière économique, vous récupérez une partie de votre loyer, sinon vous devez payer un peu plus. Ce changement de mentalité est relativement récent mais aura un impact sur la façon dont nous construisons dans les années à venir. »
Konings : « Je crois vraiment au coliving et au cohabitat. Les notaires ont vu venir cette tendance depuis des années. Une étude internationale menée par Kantar, l’une des plus grandes sociétés d’études de marché au monde, a montré qu’entre 20 et 25 % des jeunes générations sont actuellement intéressées par la vie en communauté. Si l’on ajoute à cela la hausse des prix de l’énergie et du logement, le cohabitat devient une option intéressante où une alternative de vie financièrement intéressante va de pair avec une autonomie suffisante. »
Splinter : « On constate aussi cette évolution vers le cohabitat aux Pays-Bas. Presque tous les projets de développement de nouveaux quartiers dans lesquels nous sommes actuellement impliqués comprennent un ancien bâtiment industriel. Là, on intègre des programmes qui profitent au quartier, pour que les gens soient fiers d’en faire partie aussi. »
Konings : « Bien sûr, il y a encore beaucoup d’obstacles juridiques à surmonter. Aujourd’hui, je pense que de tels projets de cohabitat ont définitivement une chance de réussir, surtout si leurs promoteurs les commercialisent en communiquant clairement les avantages. »

C’est en effet le domaine dans lequel ION est actif. M. Demuynck, qu’en pensez-vous ?
Demuynck : « C’est en effet le travail que les premiers arrivants doivent amorcer. À l’heure actuelle, malheureusement, le secteur bancaire a encore une vision classique de l’immobilier, ce qui peut rendre problématique le manque de financement. Cela met la pression sur le rôle des acteurs traditionnels. À mon avis, la plus grande concurrence ne vient pas des grands groupes immobiliers ou des acteurs de l’immobilier, mais des plus grandes entreprises du monde. Il s’agit souvent d’entreprises technologiques qui s’intéressent au monde de l’immobilier car beaucoup d’argent y circule. Par exemple, Google construit un quartier au Canada et accorde une réduction sur le loyer si vous acceptez d’installer des capteurs qui génèrent des données. La notion de valeur se déplace alors soudainement du bien lui-même vers les données générées. »
Konings : « C’est l’une de mes grandes préoccupations en ce qui concerne l’avenir de l’immobilier. Les plus grandes entreprises du monde investissent dans l’immobilier, mais veulent en retour tout savoir sur vous. Ils veulent votre âme, et cette âme, ce sont les données que vous générez. »
Demuynck : « La satisfaction des clients générée par ces entreprises est également si élevée que les clients sont assez fidèles. Ce type d’entreprises offre une expérience excellente et cela va sans aucun doute exercer une pression considérable sur le secteur immobilier traditionnel. »
Konings : « Si vous laissez l’immobilier à ces entreprises technologiques, alors, en tant que consommateur, vous acceptez vraisemblablement certains problèmes de confidentialité. Ensuite, vous devez prendre en compte non seulement l’Internet des objets, mais aussi le fait que des personnes regardent dans les pièces de votre maison. Je suis très inquiet à propos de cette religion numérique, notamment l’impact qu’elle aura sur les jeunes générations. »
Demuynck : « D’autre part, au cours des dix ou quinze dernières années, nous avons assisté à un changement d’attitude de la société vis-à-vis du logement. Les jeunes ne font plus la navette, ils restent pour des périodes plus ou moins longues près de leur lieu de travail et passent plus facilement d’un logement à un autre. Le fait que les membres de la famille vivent plus loin signifie également que les contacts sociaux des personnes âgées s’amenuisent. L’attention portée à l’autre, mais aussi à la maison de l’autre, est mise à rude épreuve. Cette réalité changeante nous oblige à réfléchir à une structure de propriété plus flexible où l’on peut acheter des actions ou des jetons immobiliers dans certaines structures immobilières. »

Splinter : « Il existe déjà de tels acteurs à New York, Amsterdam, Bruxelles et Copenhague, par exemple, où l’on choisit un certain type de maison avec un certain service n’importe où dans le monde. Ainsi, vous savez exactement ce que vous obtenez, où que vous soyez. Ce qui me préoccupe, c’est que lorsque les grandes entreprises prennent le contrôle des marchés immobiliers, il reste à savoir si tout le monde aura accès à ce type de domaine. Qui peut louer et qui ne peut pas ? »
Konings : « Bien sûr, vous avez aussi besoin du gouvernement. Si le gouvernement veut vraiment développer une vision sur le long terme, il doit réfléchir et rendre ces développements possibles. La possibilité de soutenir financièrement le coliving, le cohabitat et le coworking, par exemple, pourrait à terme éliminer de nombreux problèmes, y compris ceux de nature mentale. Parce que si on ne vit pas confortablement, on n’est pas à l’aise dans son corps, et dans sa tête, et à long terme, des problèmes psychologiques se déclarent. »
Demuynck : « Le gouvernement a un rôle important à jouer. À mon avis, le pacte vert pour l’Europe, qui stipule que nous devons devenir un continent neutre en carbone d’ici 2050, change la donne. En plus de cela, les rumeurs concernant une taxe sur le CO2 pour Bruxelles se font de plus en plus insistantes et nous sommes confrontés au défi de renouveler notre ancien patrimoine. Ce n’est que lorsque le cadre législatif sera en place que les individus adapteront également leur comportement plus rapidement. »
Il s’agit clairement d’un sujet qui donne matière à réflexion. Merci de nous donner déjà un aperçu de l’avenir de cette nouvelle façon de se loger. Oublions les habitations classiques et regardons avec curiosité les nouvelles formes d’habitations. Merci Herman Konings, Davy Demuynck et Rik Splinter.