Le commerce de détail : une histoire de défis et d'opportunités

Le commerce de détail a connu deux dernières années particulièrement difficiles. D'une part à cause des fermetures imposées, d'autre part à cause du boom de l'e-commerce qui s'en est suivi. Les magasins physiques ont-ils encore de l'avenir ? Ou appartiendra-t-il seulement à l'immobilier résidentiel ou logistique ? Trouvera-t-on la solution dans nos zones commerciales existantes ou un changement de mentalité s'impose-t-il ?
Entretien avec cinq experts :
- Nicolas Damman, directeur du cabinet de conseil PwC
- Jan De Nys, CEO et fondateur de la société immobilière Retail Estates
- Stijn Thomas, cofondateur d'Avenue Real Estate
- Nicolas Beaussillon, administrateur délégué de Wereldhave Belgium
- Christophe Leenesonne, Senior Business Developer chez ION

La crise du coronavirus a fait monter en puissance de l'e-commerce. Cette évolution est-elle au détriment des magasins physiques ?
Stijn Thomas : « Le commerce de détail en ligne et physique peuvent certainement co-exister. Le confinement aux Pays-Bas fin 2021 et début 2022 a définitivement montré la raison d'être des magasins. Une hausse de 30 % du chiffre d'affaires des magasins anversois a été observée pendant ce confinement. La popularité de l'e-commerce ne signe donc pas la mort du magasin physique. »
Nicolas Beaussillon : « Le confinement a obligé les clients à faire leurs achats en ligne. Par la suite, nous remarquons toutefois clairement que les visiteurs reviennent dans les magasins physiques. Cela démontre leur intérêt et importance. Aujourd'hui, le nombre de visiteurs est presque le même qu'avant la période du Covid. »
Selon vous, comment le commerce de détail doit-il faire face à la popularité croissante de l'e-commerce ?
Nicolas Damman : « L'e-commerce n'est évidemment pas nouveau. Les premières boutiques en ligne datent d'il y a vingt ans et les magasins physiques restent d'actualité. La stratégie de commerce de détail se veut clairement omnicanale. »
Jan De Nys : « La grande révolution réside dans l'émergence de formes mixtes. J'entends par exemple que chez Vandenborre, le Click&Collect représente désormais 28 % de leur activité depuis la réouverture des magasins. Cela signifie que le consommateur qui en a assez d'attendre son colis à la maison va le chercher lui-même en magasin. Ces personnes sont donc prêtes à faire le déplacement avec la certitude que le produit est disponible. Avantages pour le magasin : pas de frais de transport, pas de risque d'endommagement et les vendeurs sont poussés à vendre des accessoires. C'est une branche très rentable. »
Nicolas Damman : « Le détaillant de demain est celui qui conjugue parfaitement magasin physique et numérique. Le client cherche une expérience d'achat qui se prolonge sur le plan digital. Par exemple, vous remplissez un panier en ligne pendant la semaine, vous rendez en magasin le samedi, y trouvez ces pièces dans votre taille, achetez d'autres articles également et, choisissez à la caisse de les retirer immédiatement ou de vous les faire livrer à domicile. »
Peut-on dire que nous sommes des consommateurs gâtés ?
Jan De Nys : « Sûrement, mais cela tient aussi au fait que nous ne payons pas tous les coûts. La livraison gratuite est une évidence pour bien des personnes, mais cela va changer. Il s'agit d'un mouvement social lié au changement climatique, dont nous devrons également assumer les coûts. »
« D'autre part, l'histoire numérique profite aussi largement aux détaillants. Ils sont en mesure de recueillir une masse d'informations sur leurs clients et d'adapter leur communication et leurs ventes en ce sens. »

L'inoccupation des locaux commerciaux est donc un sujet brûlant depuis quelque temps. Quel est votre avis ?
Nicolas Beaussillon : « L'emplacement d'un local ou d'un centre commercial a son importance, mais le gestionnaire aussi. Le propriétaire d'une série de magasins en périphérie par exemple, peut proposer un mélange intéressant de commerçants et jouer sur les prix. Voilà la différence avec les propriétaires de ceux en centres-villes, qui ne détiennent souvent qu'un seul local commercial. »
Jan De Nys : « Les magasins indépendants, tels que les magasins de jouets ou d'électroménager, ont été évincés du centre-ville par les grandes chaînes de magasins de mode qui prospéraient à l'époque. Ils ne reviendront plus. Il ne faut pas sous-estimer la disparition d'une grande partie de la diversité des centres-villes. »
Nicolas Damman : « Les loyers des centres commerciaux et des magasins en périphérie restent assez stables. Nous constatons récemment une baisse des prix essentiellement dans les centres-villes. Tout le monde avait le sentiment que les prix étaient trop élevés et nous assistons maintenant à une correction normale. J'espère sincèrement que cette baisse soit également source d'opportunités pour les petits commerces. »
Stijn Thomas : « Les administrations communales jouent également un rôle majeur à ce sujet. En général, les grandes villes s'en sortent bien et les petites encaissent les coups, mais il y a des exceptions. Il suffit de regarder une ville comme Malines, par exemple, où l'administration communale met tous ses efforts dans le centre. On peut voir que cette ville commerçante a toujours sa raison d'être, même s'il est certain que beaucoup de magasins de périphérie sont implantés çà et là. »
La gestion de cette ville s'apparente-t-elle alors à celle d'un centre commercial où le shopping est et reste une expérience ?
Stijn Thomas : « Au contraire, chaque ville devrait adopter une optique. Elle doit savoir quel est son positionnement, quel est son public cible, si elle vise le tourisme ou non... L’Horeca et la mobilité jouent assurément un rôle dans ce domaine. »

Ce phénomène est-il actuellement trop rare ?
Christophe Leenesonne : « Certaines villes ont encore du potentiel. Les promoteurs immobiliers suivent les désirs du client. Je pense qu'il est primordial de développer une vision globale pour l'ensemble de la ville. Tout commence par l'urbanisme, qui doit élaborer un plan que tout le monde doit respecter. Une ville est un mélange cohérent de toutes sortes de facteurs et la vision se doit d'être homogène. »
Où serons-nous dans 5 ans et quel est le plus grand défi ?
Jan De Nys : « Il y a surtout de grandes interrogations. Quel sera le pouvoir d'achat dans cinq ans ? La conjoncture actuelle des prix de l'énergie n'est pas bonne pour nous. La deuxième question est : où les gens vont-ils vivre et comment vont-ils se déplacer ? Comment l'e-commerce va-t-il se développer ? La foire aux colis continuera-t-elle sa livraison gratuite ? »
Nicolas Beaussillon : « Les besoins des consommateurs évoluent rapidement. S'y conformer est un défi considérable pour les années à venir. Écouter les désirs des clients. Le client est et restera roi. »